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La justice transitionnelle en aval des atrocités de masse

Leçons de leadership : comment la justice pénale aborde la prévention des atrocités de masse

Cette vidéo discute des origines de la justice transitionnelle au lendemain de l’Holocauste et de la Seconde Guerre mondiale et présente quatre formes clés de justice transitionnelle que sont la recherche de la vérité, les poursuites, les réparations et la prévention. L’experte Yasmine Chubin, l’ambassadeur Stephen Rapp et l’activiste Rohingya Yasmin Ullah discutent des objectifs et des défis relatifs aux efforts en matière de justice transitionnelle, ainsi que le rôle des professionnels de la justice pénale au lendemain des atrocités de masse.

Cette vidéo est disponible en anglais avec des sous-titres en français.

Transcript

- [Narrateur] La Shoah désigne la persécution et l’extermination systématiques et cautionnées par l’État de 6 millions de Juifs perpétrées par le régime nazi et ses collaborateurs avant et pendant la Seconde Guerre mondiale. Si le rôle qu’ont joué de hauts responsables nazis tels qu’Adolf Hitler, Heinrich Himmler et Adolf Eichmann dans le génocide des Juifs est notoire, on ne peut pas en dire autant du rôle joué par des gens moins en vue, dans toute la société allemande.

- [Dre Lindsay MacNeill] On sait qu’il a fallu des millions de gens pour mener à bien le génocide, qu’il s’agissait d’une entreprise d’ampleur systématique. Toutes sortes de professions y ont participé, dans des secteurs aussi divers que celui de la médecine, de la magistrature, de la police, de la justice, de l’armée, et de toutes sortes de fonctionnaires, comme ceux et celles qui travaillaient dans le secteur bancaire. Dans toute l’Europe, ces individus ont pris part à la mise en œuvre de la Shoah.

- [Narrateur] Les spécialistes de la justice pénale jouent un rôle crucial dans la Shoah. Juges et procureurs permettent de mettre en marche les rouages de la persécution contre les Juifs d’Allemagne, tandis que la police applique des mesures antijuives, notamment les déportations. Au cours de la guerre, elle contribue activement aux exécutions de masse de la population juive. Il n’en reste pas moins que la plupart des spécialistes de la justice pénale ne sont pas d’ardents défenseurs de la cause nazie.

Comment se fait-il alors que ces professions soutiennent le régime dès 1933 lorsqu’Hitler arrive au pouvoir ? Et pourquoi tant de complices de la Shoah ?

Tout d’abord, la plupart d’entre eux sont persuadés qu’Hitler et les Nazis ont accédé aux plus hautes fonctions de l’État allemand de manière légitime et selon les principes dictés par la constitution, pas par une révolution. Dès 1932, Les Nazis mènent campagne dans le cadre d’élections libres, devenant alors le plus grand parti politique du parlement allemand. Malgré le fait que le parti nazi ne soit pas majoritaire, le président Hindenburg nomme Hitler à la tête d’un gouvernement de coalition le 30 janvier 1933.

C’est donc par un processus politique légal qu’Hitler et les Nazis parviennent au pouvoir. Les spécialistes de la justice pénale acceptent ce nouveau gouvernement, puis respectent les mesures et les lois adoptées. Ils prêtent également serment lors de la nouvelle procédure instituée alors pour jurer fidélité à Hitler.

- [Dre Lindsay MacNeill] On peut citer un exemple connu, celui d’un procureur nommé Martin Gauger. Il refuse de signer le serment de fidélité envers Hitler. Il déclare qu’il ne prêtera pas serment envers quelqu’un qui n’obéit pas aux principes d’un État de droit. En conséquence, il perd son travail, mais n’est pas arrêté. Il n’est pas fusillé non plus. Il ne subit en fait aucune pression.

- [Narrateur] Cependant, le geste de Gauger est une exception. La plupart des procureurs, policiers et juges allemands prêtent serment et servent sous les ordres du régime nazi.

Par ailleurs, de nombreux spécialistes de la justice pénale approuvent l’objectif des nazis, visant à mettre en place un puissant régime autoritaire, voyant le gouvernement démocratique comme étant instable, faible et incapable de faire respecter l’ordre public. À leurs yeux, il faut un état autoritaire pour contrer la montée des violences dans les rues et apporter stabilité à l’Allemagne. Le nouveau régime nazi, lui, s’empresse de transformer l’Allemagne.

Début 1933, il joue sur le spectre du communisme pour justifier la suspension des libertés civiques et créer une police d’État. Ce sont aussi les communistes qui sont accusés d’avoir allumé l’incendie du Reichstag, le parlement allemand, à Berlin à la fin février de la même année. Le gouvernement déclare alors l’état d’urgence, renforçant par la même occasion l’autorité policière.

Les spécialistes de la justice pénale accueillent à bras ouverts les mesures anticommunistes. Ils craignent les communistes et les accusent des violences dans les rues.

- [Narrateur] Enfin, ils applaudissent certains des changements du système judiciaire décidés par les Nazis : simplification des procès criminels, pouvoirs des procureurs sur les procédures judiciaires élargis, surveillance politique des prisonniers dangereux.

Ils saluent également les pouvoirs supplémentaires accordés à la police, la création d’un pouvoir fort et centralisé, et la fin des conflits entre partis politiques qui caractérisait la République de Weimar. Le soutien déclaré des fonctionnaires de la justice pénale a des conséquences considérables sur la cible principale des persécutions nazies : la population juive.

Dès son arrivée au pouvoir, le régime se met à qualifier les Juifs d’étrangers, de race hostile en Allemagne.

- [Dre Lindsay MacNeill] Le régime promet aux Allemands d’instituer une société unifiée où les gens ne se battent pas entre eux, il leur affirme que leurs valeurs se trouve dans leur unité, qu’ils auront tous un travail et un logement, qu’ils réussiront et prospéreront. Mais ce qui constitue la base de cette société, c’est l’idéologie raciale nazie, selon laquelle seuls certains Allemands font partie de la nation allemande.

- [Narrateur] La haine des Juifs est au cœur du programme du parti, publié dès 1920. L’antisémitisme et la persécution des Juifs sont les principes fondamentaux de l’idéologie raciste nazie, une idéologie qui promeut la pureté de la soi-disant « race aryenne » tout en excluant les populations jugées racialement inférieures. Les Nazis proclament ouvertement leur intention d’isoler les Juifs du reste de la population et de révoquer leurs droits politiques, juridiques et civils.

Entre 1933 et le déclenchement de la guerre en 1939, le régime publie plus de 400 décrets et dispositions qui restreignent tous les domaines de la vie publique et privée des Juifs en Allemagne. Par exemple, le 7 avril 1933, la loi pour la réforme de la fonction publique exclut du service public les Juifs et les individus considérés comme « politiquement peu fiables ».

- [Fritz Glückstein] Je me souviens qu’en 1933, mon père a perdu son poste de juge. Ils lui ont dit, « il faut que tu quittes le tribunal. Mais attends, il y a une manifestation de Nazis dehors. Sors plutôt par la porte de derrière, on ne sait jamais ce qu’il peut se passer ». « Je suis entré par la porte principale, je ressortirai par la porte principale », a-t-il répondu. Et c’est ce qu’il a fait. Mais ce n’était que le début. Les beaux jours sont vite partis.

- [Narrateur] Plus tard, ce sont les lois raciales du 15 septembre 1935 qui dépouillent les Juifs de leurs droits en tant que citoyens allemands. Les relations sexuelles entre les personnes définies comme juives et celles définies comme allemandes sont interdites.

Au fil des nouvelles mesures, les Juifs sont privés de leurs biens et de tout moyen de gagner leur vie en Allemagne. Les Nazis ayant publiquement étiqueté les Juifs comme une population hostile et ennemie, ils n’ont plus qu’à compter sur la coopération des fonctionnaires de la justice pénale pour mettre en œuvre leurs persécutions. Ils ouvrent ainsi la voie au meurtre de masse systématique des Juifs pendant la Shoah.

- [Dre Lindsay MacNeill] Le système judiciaire pénal a agi de manière collective. Les conséquences en ont été dramatiques. Autrement dit, la Shoah n’aurait pas pu avoir lieu sans eux.

Cette page est également disponible en anglais.